Droit d’entrée
Journée d’étude Droit d’entrée

Compte rendu de la Journée d’étude Droit d’entrée

“ Conditions de réalisation de la thèse et perspectives de carrière à l’université ”

Le samedi 29 novembre 2003, l’association Droit d’entrée organisait à Paris, dans une salle de la Sorbonne, sa première journée d’étude centrée sur les conditions de réalisation de la thèse et les perspectives de carrière à l’université. Une cinquantaine de personnes ont participé à la matinée organisée autour d’interventions issues d’enquêtes et au débat de l’après-midi. Neuf universités parisiennes et six de province étaient représentées ; la moitié des participants étaient sociologues. Nous tenons également à remercier les personnes qui nous ont envoyé un témoignage suite à notre appel. Certes nous n’avons pu les intégrer durant cette journée, mais un groupe de travail a été constitué pour poursuivre les recherches.

Ci-après, nous vous proposons un compte-rendu des interventions de la matinée (résumés réalisés par les intervenants) et des débats de l’après-midi (notes).

A- Résumés des interventions de la matinée

Introduction de la journée par Maryse Ramambason, Présidente de Droit d’entrée, doctorante en science politique, Paris I

“ La production des thèses en lettres, sciences humaines et sociales : disciplines masculines et disciplines féminines ” par Charles Soulié, maître de conférences en sociologie, Paris VIII

L’exposé était centré sur la production des thèses en lettres et sciences humaines et sociales en France au début des années 1990 et s’intéressait plus particulièrement à l’effet de la variable genre dans le choix de la discipline, comme dans celui du sujet de thèse. Je rapporterai ici essentiellement ce qui a été dit relativement aux effectifs et au sex ratio de chaque discipline, la question du devenir professionnel des docteurs et de la publication de leur thèse sous forme d’ouvrage devant faire l’objet d’une publication ultérieure.

La source principale est Docthèses, qui est le catalogue des thèses soutenues dans les universités françaises et qu’on trouve sous forme de Cdrom dans toutes les B.U. J’ai transféré, sur une base de données Excel, l’ensemble des thèses soutenues en lettres et sciences humaines et sociales en 1993 et 1994, soit un effectif de 4.456 thèses[1].

1 Les effectifs

Dans la première partie de l’exposé, j’ai donné une idée du volume respectif de chaque discipline. Il apparaît alors que les sciences humaines et sociales regroupent 62% de l’ensemble des thèses soutenues ces années là, les lettres 32%, et les arts 6%. Résultat relativement inattendu, car je ne pensais pas les sciences humaines et sociales, disciplines plus récentes, avaient pris autant d’importance. A telle enseigne qu’on pourrait se demander s’il faut encore parler de faculté de lettres et sciences humaines et sociales, et s’il ne faudrait pas plutôt parler de facultés de sciences humaines et sociales et de lettres.

Si l’on décompose ensuite l’univers des sciences humaines et sociales, on s’aperçoit que l’histoire domine largement, attendu qu’elle rassemble à elle seule 25,8% des thèses de cet univers. En fait, l’histoire est la grosse discipline de sciences humaines et sociales. On notera aussi que c’est la plus ancienne, et celle qui compte le taux le plus élevé de normaliens. Ce qui en fait sans doute la discipline de science sociale la plus légitime.

Après l’histoire arrive la linguistique (16,5%), ce qui est un résultat lui aussi plus ou moins inattendu, et après la linguistique la géographie (13,9%) autre discipline qui, comme l’histoire, est enseignée dans le secondaire. En France, la géographie est intimement associée à l’histoire, alors que dans d’autres pays elle sera plutôt classée du côté des sciences de la nature. Et de fait, pensez à la géographie physique, à la climatologie, à l’hydrologie, etc. Alors il existe aussi une géographie humaine, et celle ci est même fortement majoritaire en France. Après la géographie, arrivent la sociologie (11,3%) et la psychologie (10,5%). Deux disciplines qui produisent donc un nombre à peu près équivalent de docteurs, alors qu’on notera que les effectifs étudiants en psychologie sur l’ensemble des cycles sont actuellement environ 2,5 fois plus élevés. Ce qui montre donc que certaines disciplines sont plus des disciplines de recherche que d’autres. Ensuite, arrivent les sciences de l’éducation (7,4%), la science politique (5,6%), l’ethnologie (4,3%), et enfin les sciences de l’information et de la communication (3,1%).

J’ai rapporté le volume global de chacune de ces disciplines afin que vous puissiez le comparer avec votre construction spontanée de l’espace des disciplines.

Passons maintenant au groupe des lettres. La première discipline de lettres est la littérature française (27,2%). A laquelle on peut adjoindre d’ailleurs la littérature comparée (6,5%). Si on cumule les deux, on arrive à un total de 33,7%. Après la littérature arrive la philosophie (21,1%), ce qui somme toute représente une proportion appréciable pour une discipline qui, dans le secondaire, n’est enseignée qu’en Terminale. De ce point de vue, la comparaison de la philosophie avec le français, ou encore l’histoire, est intéressante. Car les débouchés professionnels dans l’enseignement ne sont vraiment pas comparables. Après la philosophie arrivent l’anglais (8,6%) puis les différentes langues, qui cumulées toutes ensemble représenteraient environ 40% des thèses de ce groupe. Je dis cumulerais, car j’ai inclus dans les langues les études arabo islamiques, indiennes et extrêmes indiennes, greco latines, qui ne me semblent pas avoir le même régime que les autres. Enfin, je mets de côté ici les sciences religieuses (3,2%) dont le statut n’est pas évident et que j’aurais pu d’ailleurs classer en sciences humaines et sociales.

Au final, le groupe des lettres se divise donc, si on classe cette fois les disciplines par ordre d’effectifs décroissants en langues (40% environ), littérature (33,7%) et philosophie (21,1%). Vue de cette manière, la philosophie apparaît alors comme une petite discipline.

Enfin si on passe à l’étude des arts, arts et archéologie dominent largement (55%), suivi par la musicologie (25%), le théâtre (12%), et le cinéma (8,5%).

2 La différenciation sexuelle entre les disciplines

Si l’on examine le sex ratio de ces trois grands groupes de disciplines, on s’aperçoit que les sciences humaines et sociales comptent 53% d’hommes, les lettres 47% et les arts 42%. On retrouve donc à ce niveau une opposition entre d’un côté les sciences (humaines et sociales) et de l’autre les arts, avec au milieu les lettres.

Mais bien évidemment, des différences importantes existent au sein de chaque groupe. En sciences humaines et sociales, la géographie, la science politique et l’histoire sont nettement plus masculines que la moyenne. Tandis que la sociologie occupe une position intermédiaire, et que les sciences de l’éducation, et surtout la psychologie, l’ethnologie et la linguistique sont plus féminisées.

On repère ainsi une division sexuelle bâtie sur une opposition entre l’extérieur et l’intérieur, le public et le domestique, mais peut être aussi entre le rigide et le souple, etc. Aux hommes l’histoire, le monde des objets physiques traités par la géographie ou l’aménagement, ainsi que la politique. Aux femmes ce qui a trait à l’éducation, à l’intériorité, à la psychologie, au soin, à la relation à l’autre, ou au “ care ” comme disent les américains. Néanmoins dans ce modèle une discipline pose problème, c’est l’ethnologie. En effet, les femmes y sont proportionnellement plus nombreuses. Mais peut être que pour comprendre le cas de l’ethnologie, il faut faire intervenir d’autres facteurs. En effet, l’ethnologie se distingue aussi par un recrutement nettement plus parisien que la moyenne, ce qui laisse supposer que son recrutement est aussi plus bourgeois. De ce point de vue, sociologie et ethnologie sont assez fortement contrastées. De même, leurs objets d’études respectifs sont encore bien distincts, même si épistémologiquement la coupure entre ces deux disciplines n’est guère défendable.

Passons maintenant au groupe des lettres. En lettres, la philosophie se distingue avec 65% d’hommes, pour 41,2% en langues européennes et 36,4% en littérature française et comparée. Cette opposition sexuelle dans le recrutement des disciplines s’observe d’ailleurs dès l’enseignement secondaire, où les professeurs de philosophie sont des hommes pour plus de 60% d'entre eux. En fait au lycée, la philosophie est la plus masculine de toutes les disciplines d'enseignement général (plus masculine même que la physique ou les mathématiques…). Ce qui n'est d'ailleurs pas sans poser problème aux enseignant(e)s de la discipline, qui souvent s'interrogent, mais philosophiquement bien sûr, sur le sexe du concept ou de la discipline philosophique, ou son “ phallocentrisme ” (Cf. J. Derrida).

En lettres aussi apparaît donc une forme de division sexuelle du travail intellectuel. Et tout se passe comme si la posture théoricienne, conceptualisante et donc peut être aussi une forme de libido dominandi théorique, était d’abord une affaire d’hommes, les femmes étant renvoyées du côté du littéraire, du sensible et de l’intuition. On a d’ailleurs vu plus haut que les femmes étaient majoritaires dans les études d’arts. A la rudesse scolastique de l’habitus philosophique, tout hérissé de concepts abscons et préoccupé exclusivement du fondement ultime des choses, on pourrait ainsi opposer la sensibilité, la délicatesse et finalement le bon goût attendus chez les étudiants d’une discipline à la fois plus féminisée, et sans doute aussi plus mondaine, comme l’histoire de l’art par exemple. L’opposition classique de la raison et de la sensibilité, du concept et de l’intuition, mais aussi du général et du particulier, semble donc organiser la division sexuelle du travail intellectuel aussi bien entre ces disciplines, qu’à l’intérieur de chacune d’elle.

Ainsi en philosophie, les études d’esthétique sont particulièrement féminisées, tandis que la philosophie politique, ou celle des sciences, sont très masculines. En littérature française, discipline très féminisée, on note que sur les onze docteurs ayant mobilisé le mot clef “ idéologie ”, huit sont des hommes, cas aussi de huit sur dix de ceux ayant employé le mot clef “ politique ”, les femmes s’intéressant par contre plus souvent au “ voyage ”, à la “peinture ”, à l’ “ art ”, au “ merveilleux ”, à la question de la “ femme ”, comme à la “ musique ”. On voit ainsi se profiler entre, et au sein même des disciplines de lettres, un partage d’objets entre les sexes, qui n’est pas sans rappeler certains stéréotypes sociaux assignant notamment aux hommes la question du pouvoir, et aux femmes l’intérêt pour la beauté, l’idéal, soit la part la plus enchantée de la vie.


“ Les doctorants face à la publication ” par Wenceslas Lizé (Paris 8) et Xavier Zunigo (EHESS), doctorants en sociologie

La thèse est, ou devrait être, un moment de forte accumulation de capital scientifique et académique. La publication en est l’une des étapes importantes comme conditions nécessaires à l’intégration au monde académique. Cependant, indépendamment de la valeur scientifique des travaux, les doctorants n’ont pas les mêmes chances objectives de publier[2]. On se propose d’examiner ici les conditions d’accès à la publication et d’illustrer leur influence à travers deux cas concrets.

L’accès à la publication résulte de la combinaison de différentes ressources. Celles-ci sont plus ou moins accessibles et cumulables selon les propriétés scolaires du doctorant et le cadre institutionnel dans lequel il s’insère.

La première ressource, particulièrement déterminante, est le capital scolaire et universitaire détenu par le doctorant. Au-delà de ce qu’il enferme, en termes de connaissances, d’efficacité rédactionnelle, etc., le capital scolaire joue à différents niveaux. Il intervient d’abord dans l’orientation vers tel directeur et tel laboratoire. Il joue ensuite un rôle important dans la capacité à répondre aux attentes universitaires. Enfin, il confère aux doctorants une confiance en ses capacités, une “ certitude de soi ” et exerce une influence sur la précocité de la vocation professionnelle. Par ailleurs, la ressource scolaire peut être redoublée par la possession d’une ressource rare (par exemple : des compétences de statisticien). Celle-ci peut faciliter l’accès à la réalisation de travaux de recherche donnant lieu à publication.

La deuxième ressource, particulièrement déterminante, est le directeur de thèse. Son effet sur les chances de publier est corrélé à sa position dans l’espace académique et scientifique. Cependant, si le poids institutionnel du directeur est une condition nécessaire pour qu’augmentent les chances de publication, il n’est pas à lui seul une condition suffisante. La relation personnelle, l’affinité élective, du doctorant et du directeur joue un rôle indéniable.

A cette forme première du capital social s’ajoute ce que l’on pourrait appeler les formes secondaires. Il s’agit de toutes les formes d’inscription dans des réseaux d’interconnaissance, la participation à des travaux collectifs, et en particulier le laboratoire d’appartenance. La position de ce dernier dans l’espace académique agit à la fois sur les chances de publication et sur l’accès aux revues prestigieuses.

Ces réseaux sociaux d’inter connaissance semblent bien plus efficaces pour publier que les méthodes “ traditionnelles ” d’envoi d’un article en deux exemplaires à une revue à comité de lecture.

Deux expériences fort différentes permettent de mettre en évidence l’influence de ces ressources sur l’accès à la publication.

Claire est inscrite dans une université de la banlieue parisienne où elle a obtenu une allocation et un monitorat. Elle entre dans la cinquième année de sa thèse dont elle achève la rédaction. Après s’être vue refusée la publication de deux articles envoyés spontanément à des revues professionnelles, elle répond à deux commandes de revues semi-professionnelles, sans lien direct avec ses recherches, dont lui a fait bénéficier le directeur de son laboratoire – seul pourvoyeur d’opportunités de publications. L’expérience de Claire la porte manifestement à un rapport quelque peu désenchanté et utilitariste à la publication (“ pour la qualif’ ”) qui peut s’expliquer par le décalage entre ses aspirations et les débouchés offerts. Caractérisé par un accès restreint à un secteur spécifique de l’espace des revues, ce premier cas est révélateur de la corrélation qui s’établit chez les enquêtés entre les chances de publier et le volume de ressources possédées : son accès très limité à la publication peut en effet être rapproché d’un capital scolaire relativement moyen ; d’un capital social moyen également que l’on peut rapporter aux positions relativement dominées de son directeur et de son laboratoire dans le champ académique ; et enfin de l’absence de recherche collective ou de logique collective de publication.

Laurent est allocataire moniteur normalien, agrégé de sciences sociales et diplômé d’une grande école de statistique. Son cas illustre les effets du cumul des différentes espèces de ressources qui favorisent l’accès à la publication. La concentration de ressources scolaires légitimes et valorisées, parmi lesquelles une ressource rare (la statistique), semble être à l’origine d’une vocation professionnelle précoce et d’une certitude de soi qui l’inclinent par exemple à proposer un article tiré de sa maîtrise au directeur d’une revue prestigieuse, lequel accepte de le publier. La maîtrise des méthodes statistiques est en grande partie à l’origine de trois autres articles. Enfin, son environnement institutionnel prestigieux – qu’il partage avec des chercheurs appartenant aux comités de rédaction de revues académiques – et la participation précoce à des travaux collectifs lui permettent de "rentabiliser" à court terme la quasi totalité de ses travaux sous forme de publication. Ainsi débute-t-il sa troisième année de thèse avec à son actif un ouvrage et huit articles (la moitié dans des revues relativement prestigieuses).


“ Les spécificités des études doctorales et de l’insertion des docteurs en LSHS ” par Philippe Moguérou, doctorant en sciences économiques, ATER à l’Université de Bourgogne

Cette présentation vise à montrer les spécificités des études doctorales et de l’insertion des docteurs en lettres, sciences humaines et sciences sociales. Elle présente tout d’abord le contexte des études doctorales à la fin des années 90 en France. Elle aborde ensuite quelques caractéristiques spécifiques des études doctorales et des doctorants en LSHS. Elle s’intéresse enfin à l’insertion des docteurs de ces disciplines.

1 – Le contexte des études doctorales à la fin des années 90 en France

En France, une baisse des premières inscriptions en thèse est observée à partir du milieu des années 90. Cette baisse est certes plus forte en sciences exactes[3], mais elle touche également les lettres, sciences humaines et sciences sociales puisque le nombre de premières inscriptions y passe de 9981 en 1995, le point haut de la courbe, à 8946 en 2000. Cette diminution des premières inscriptions en thèse se traduit par une stagnation des soutenances de thèse en LSHS en fin de période.[4]

La diminution des inscriptions en DEA en LSHS à partir de 1995 peut en partie expliquer la diminution des inscriptions en thèse, alors que le nombre de diplômés de DEA en LSHS reste lui à peu près constant.[5] La courbe qui rapporte le nombre de premières inscriptions en thèse au nombre d’inscrits ou de diplômés en DEA a un profil décroissant à partir de 1996 ce qui indique également que les taux de poursuite en thèse à l’issue du DEA ont diminué en LSHS.[6] Dans les sciences exactes en revanche, il semble que ce soit la baisse de l’attrait pour les études doctorales dans leur globalité (y compris la première année de DEA) qui explique très majoritairement la diminution du nombre de premières inscriptions en thèse.

2 – Les spécificités des études doctorales en LSHS

Deux caractéristiques génériques[7] offrant un vision résumée des spécificités des études doctorales et des doctorants en LSHS sont présentées ici : l’abandon en thèse et la durée des thèses.

Les taux d’abandon en thèse dans les LSHS sont en effet particulièrement élevés puisqu’en moyenne plus d’un doctorant sur deux dans ces disciplines ne termine pas sa thèse. Selon l’enquête Génération 98 du Céreq[8], les taux d’abandon sont de 37% en économie et gestion, de 51% en droit et science politique et de 59% dans les autres disciplines des lettres, sciences humaines et sociales.[9]

Les durées des thèses sont également plus élevées en LSHS. Elles sont en moyenne de 5,2 années en lettres et sciences humaines et de 4,7 années en sciences sociales.[10] On a pu montrer également par exemple que 40% des thèses en lettres, sciences humaines et sciences sociales (hors droit-politique-économie) durent plus de cinq ans, contre 30% en droit, science politique, économie et gestion, et seulement 6% en sciences exactes.

Divers éléments peuvent être avancées pour expliquer pourquoi les taux d’abandon et les durées en thèses sont si élevés en LSHS :

Ø La nature spécifique des financements de thèse dans ces disciplines et en particulier le manque de financement propre stable. Une grande partie des thésards en LSHS sont en effet “ sans financement ” ou finance leur thèse personnellement par leurs ressources individuelles ou familiales (enseignants dans le primaire ou secondaire, “ petits boulots ”, travail du conjoint…).

Ø Les conditions matérielles de thèse, souvent difficiles, surtout en région parisienne.

Ø La nature “ individuelle ” des recherches, le manque de relations avec le directeur de thèse, le manque d’intégration à une équipe d’accueil, l’isolement…

Ø Des caractéristiques individuelles spécifiques (sexe, âge, situation familiale, parcours scolaire antérieur).

Ø Les conditions du marché du travail et les perspectives d’emploi à l’issue de la thèse, perspectives parfois difficiles.

3 – L’insertion des docteurs en LSHS

Diverses statistiques sur l’insertion après la thèse offrent une vision mitigée de l’entrée sur le marché du travail des docteurs en LSHS. Si les taux de chômage et les taux d’emploi à durée limitée des docteurs en LSHS sont globalement relativement similaires à ceux des docteurs en sciences exactes sur la décennie 90, cela est pour partie attribuable à la nature spécifique de la thèse en LSHS. En effet, comme nous l’avons souligné, une partie non négligeable des thésards de ces disciplines sont insérés sur le marché du travail dès avant la fin de la thèse (emplois d’enseignant par exemple). La période post-doctorale, si courante dans les sciences de la vie par exemple[11], demeure également l’exception en LSHS.[12] En revanche sur la période récente, il semble exister une dégradation des conditions d’insertion des docteurs en LSHS puisqu’on observerait une augmentation des taux de chômage dans ces disciplines (hors droit-économie-gestion).[13]


“ Les restructurations universitaires à l’aune d’une discipline hétéronome, les sciences de gestion ” par Fabienne Pavis, maître de conférences en sociologie, Nantes

Les restructurations universitaires actuelles (LMD, “ autonomie des universités ”, réforme des statuts des personnels) s’appuient sur des changements législatifs mais également sur des évolutions moins visibles, en particulier, la montée en puissance de disciplines très peu autonomes, très dépendantes de la “ demande sociale ”, telle la gestion. Cette filière de formation aux activités commerciales, comptables, gestion du personnel, gestion de la production, jouit d’un succès social certain mais est peu reconnue (voire même connue) du point de vue savant. Préciser les conditions de développement des sciences de gestion à l’université depuis la fin des années 1960 en France[14] permet une mise en perspective de tendances qui aujourd’hui se généralisent et se cristallisent mais qui sont à l’œuvre depuis 30 ans.

Une première tendance consiste en l’usage d’une rhétorique économique internationale. Au début des années 1960, une politique de promotion de l’enseignement de la gestion est lancée aux niveaux international (via l’OCDE) et national, au nom du “ progrès économique et social ”. La gestion est une discipline de formation à qui une fonction économique claire – former des cadres adaptés à la nouvelle donne économique – a été attribuée pour, et partiellement par, une fraction patronale “ éclairée ” c’est-à-dire diplômée des grandes écoles d’ingénieurs, dont les activités économiques sont tournées vers l’international, proche de l’Etat tout en étant libérale (bref, opposée au patronat “ archaïque ”, protectionniste, autoritaire...). Parallèlement à cette politique volontariste, les filières universitaires de gestion vont bénéficier de l’accroissement rapide des effectifs des étudiants et, paradoxalement, du mouvement contestataire de 1968. C’est en effet avec d’autres disciplines marginales et dans le cadre de la recomposition universitaire des années 1969-79, que la gestion va s’institutionnaliser comme discipline (avec une commission universitaire, une agrégation du supérieur, des diplômes, spécifiques).

Une deuxième tendance peut être distinguée : la prééminence d’une logique d’établissement sur une logique disciplinaire. En gestion, on peut dire que le capital symbolique est détenu davantage par les institutions de formation (HEC, Dauphine) que par la discipline (les sciences de gestion, leurs auteurs, leurs revues, leurs ouvrages…). Pourtant, tout l’enjeu des transformations des institutions de formation en gestion durant les années 1970 a été de “ s’académiser ” (en particulier grâce à la constitution des corps enseignant permanent porteurs de capital symbolique disciplinaire), tout en bénéficiant d’une reconnaissance de la part des entreprises qui vont envoyer leurs cadres en formation continue et embaucher les étudiants. Durant cette période, les écoles de commerce et les instituts universitaires de gestion vont se rapprocher, les deux types d’institutions prenant pour “ modèle ” les Graduate business schools nord-américaines censées concilier de façon optimale légitimité académique et légitimité entrepreneuriale.

L’exemple d’un institut universitaire aixois tentant au début des années 1970 de devenir “ la première Business school française ” est révélateur de cette logique d’établissement. Dans l’objectif d’assurer auprès des étudiants et cadres en formation un meilleur “ service ” (locaux, matériel informatique, centre de documentation, personnel supplémentaire), il est jugé nécessaire d’accroître les moyens matériels grâce à des cours en formation continue, des contrats en recherche appliquée, la recherche de taxe professionnelle, l’exigence de droits complémentaires des étudiants. Cette quête matérielle est source de nombreuses tensions internes aux universitaires spécialisés en gestion puisque, dans cette logique, deux catégories d’activités s’opposent : celles qui coûtent et celles qui rapportent… De même, cette logique d’établissement implique que le directeur puisse “ gérer les ressources humaines ” pour obtenir une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de formation. La gestion centralisée des carrières constitue un obstacle et exiger plus que la réalisation des “ services ” des universitaires nécessite de les faire adhérer au “ projet ”, alors que tous n’ont pas les mêmes intérêts, intellectuels et matériels, à y participer. Dans ces institutions qui d’emblée se pensent en concurrence entre elles, la logique d’établissement va de soi et la logique disciplinaire (ou plutôt de spécialité) ne fait que la nourrir.

Une troisième tendance peut être soulignée : le brouillage du “ droit d’entrée ”. Dans les disciplines pour lesquelles le marché du travail non académique est par définition prépondérant, comme en gestion, la carrière d’enseignant chercheur ne va pas de soi. De fait, en sciences de gestion, et de façon récurrente, on s’inquiète de la pénurie de professeurs (entre 30 et 40 postes sont régulièrement non pourvus). Des aides spécifiques des pouvoirs publics sont accordées, des dispositifs sont mis en oeuvre pour pallier à l’absence de “ vocation ” mais aussi à la crise de croissance (cette discipline inexistante au milieu des années 60 “ rattrape ” les autres disciplines jusqu’à devenir une discipline dominante aujourd’hui : elle représente un quart des disciplines juridiques avec 1300 postes de titulaires). Par conséquent, dans cette filière l’ouverture aux “ professionnels ” (praticiens de la gestion) est à la fois évidente et inquiétante ; elle remet en cause la spécificité des universitaires, sachant que nombre d’entre eux se sont pris au jeu intellectuel et sont les premiers à critiquer la pression des étudiants demandeurs de “ recettes ”. La multiplication des postes de Professeurs associés profite à des consultants jugés ni praticiens, ni théoriciens, et brouille ainsi le droit d’entrée (même si la porosité entre monde académique et monde “ professionnel ” est forte en gestion).

Le détour par les conditions de développement d’une filière universitaire en gestion permet de cerner une double tendance : alors que la restructuration universitaire des années 1970 a permis à de nombreuses disciplines professionnelles ou “ de formation ” de s’académiser et de devenir quantitativement dominante dans les universités (pensons également à l’informatique), les restructurations universitaires dont il est question aujourd’hui semblent aller dans le sens inverse : les disciplines académiques, symboliquement dominantes et minoritaires sur le plan quantitatif, sont priées de se “ professionnaliser ”… Cette pression contemporaine a d’autant plus de poids que le premier mouvement a eu lieu sans remouds… C’est d’une certaine façon le rapport de force entre disciplines mais également à l’intérieur de chacune des disciplines qui est en jeu.



[1] J’ai travaillé ici avec le premier CDrom de l’année 1998. L’exposé présenté ici s’inscrit dans la continuité d’un article antérieur publié avec Gérard Mauger : “ Le recrutement des étudiants en lettres et sciences humaines et leurs objets de recherche ”, Regards sociologiques, n°22, 2001.

[2] Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Bertrand Dargelos et Juliette Rolland.

[3] On recensait 8650 premières inscriptions en thèse dans ces disciplines en 1993 contre seulement 6628 en 2000.

[4] Alors que le nombre de nouveaux docteurs en sciences exactes diminue depuis 1996.

[5] Le ratio diplômés / inscrits a donc tendance à augmenter.

[6] Reste à comprendre les motifs plus profonds de ce relatif moindre attrait pour les études doctorales en LSHS : progressive diminution de la rémunération relative des thésards-allocataires ? Difficultés croissantes de financement ? Effets des conditions d’insertion des docteurs, parfois difficiles ?

[7] D’autres caractéristiques spécifiques auraient pu être soulignées, telles que l’âge moyen plus élevé des thésards en LSHS, la féminisation relativement plus forte…

[8] Voir Moguérou P., Murdoch J. et Paul J.-J. (2003), Les déterminants de l’abandon en thèse : étude à partir de l’enquête Génération 98, document IREDU, février, 13 p. (http://www.u-bourgogne.fr/IREDU/2003/03030.pdf).

[9] Selon cette même étude, 12% seulement des thésards en sciences exactes ne terminent pas leur thèse, même s’il existe des différences disciplinaires également non négligeables.

[10] Selon les données du Rapport sur les Etudes Doctorales. En sciences dures, les durées des thèses s’échelonnent de trois à trois ans et demi selon les disciplines considérées.

[11] Sur ce thème voir par exemple Moguérou P. (2003), “La mobilité internationale temporaire des scientifiques français : modalités et consequences”, in Euzéby C. et al. (eds.), Mondialisation et régulation sociale, L’Harmattan, Paris, pp. 557-574. Voir aussi : Moguérou P. (2002), “ Diversité des post-doctorats et insertion professionnelle des docteurs ”, Dispositif d'observations décentralisées des carrières et de l'insertion des docteurs, Direction de la recherche, Mission scientifique universitaire, 51 p. (http://www.ubourgogne.fr/IREDU/2002/02082.pdf).

[12] Ceci signifie également, de façon moins positive, que toute ou partie des emplois à durée limitée des docteurs en LSHS sont des emplois précaires hors recherche (i.e. ce ne sont pas des post-doctorats), contrairement aux sciences exactes ou la plus grande partie des emplois à durée limitée après la thèse sont des emplois post-doctoraux au sens classique du terme.

[13] Voir : Béret P., Giret J.F., Recotillet I. (2002) “ L’évolution des débouchés professionnels des docteurs: les enseignements de trois enquêtes du Céreq ”, Document LEST (Séminaire; 2003-12.2). Consulter également : Béret P., Giret J.F., Moguerou P., Murdoch J., Paul J.J., Perret C., et Recotillet I. (2003), Etude sur la mobilité des jeunes docteurs, Rapport pour le Ministère de la Recherche et de la Technologie, mars.

[14] Cf. F. Pavis, “ Sociologie d'une discipline hétéronome. Le monde des formations en gestion entre universités et entreprises en France. Années 1960-1990 ”, Thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Michel Offerlé, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2003.



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